La littérature horrifique peut-elle être poétique ?
Je t'assure que l'effroi et le gore peuvent rimer avec l'harmonie et le rythme de la poésie. Je te montre ça !
Chair lecteur·ice 😈
Souhaitons la bienvenue à Hugo et Mathieu, dans l’enfer de cette 64e édition des Papiers Noirs à l’Encre Rouge.
Dans ces Papiers Noirs tu trouveras de quoi (re)découvrir des pépites littéraires et cinématographiques entre thriller, fantastique, horreur et science-fiction. Par le prisme de l’écriture, de la lecture et de l’actualité, c’est sang pour sang '“mauvais” genres.
Bonne lecture !
🔪En un coup de couteau
C’est quoi au juste l’horreur et la poésie ?
Extraits d’oeuvre poético-horrifiques et leur auteur·ice
Haïku d’horreur de Vocance à moi-même
Revenons à la base fondatrice de l’horreur et de la poésie
C’est quoi l’horreur en bref ? Comment sait-on que l’on lit de l’horreur et pas un autre “mauvais” genre.
Pour faire simple, l’horreur est censé insuffler la peur, l’angoisse ou le dégoût (ou les 3 ensemble). Comment ? Ce qui provoque ces émotions c’est souvent :
l’inconnu : un extraterrestre, un lieu interdit, une porte vers l’au-delà…
l’incertitude : signer un pact avec le Diable, la maladie…
la surprise : bouh !
les jeux de l’esprit, soit l’imagination : notre interprétation des faits, notre perception…
Ce sont les principaux ingrédients de l’horreur qui sont bien sûr combinés pour t’empêcher de dormir.
Et c’est quoi la poésie ?
Le Larrousse dit :
Art d'évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l'union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers
Mais plus largement, la poésie, c'est l'art d'exprimer des émotions, des idées et des expériences à travers un langage rythmé musical et imagé, en jouant avec les sons, le rythme et les mots pour créer une œuvre qui éveille les sens.
Rien qu’en lisant ces deux définitions, on répond à la question “L’horreur peut-il être poétique ?” car les fondements de la poésie et de l’horreur sont de faire naître des émotions (forte) par l’image que peuvent créer l’agencement minutieux des mots.
On peut évidemment faire peur, dégoûter ou angoisser sans jamais tomber dans la poésie et c’est d’ailleurs de plus en plus le cas dans les œuvres horrifiques contemporaines qui sont plus psychologiques et terre à terre que leurs prédécesseures, je fais référence notamment aux œuvres gothiques.
Mais les deux se marient aussi très bien.
Je te le prouve par l’exemple, avec quelques somptueuses et sombres découvertes.
Ces œuvres poético-horrifiques
Qu’il s’agisse de poésie horrifique ou d’histoires d’horreur poétiques, on peut trouver de cette plume délicate et déroutante en France comme à l’étranger.
Les poèmes d’Anne Sexton
Anne Sexton, dans les année 1950-1970’s, écrivait des poèmes qu’on peut qualifier d’horrifiques. D’abord pour les thèmes qu’elle aborde : les relations familiales toxiques, la mort, la maladie, la folie… ; mais aussi de part son intention première : libérer la parole d’une femme en souffrance, après une tentative de suicide, sur conseil de son psychiatre et à partir d’un passé très troublé voire traumatisant.
J’ai trouvé un poème d’Anne Sexton en ligne. Il circule partout mais je n’en ai pas trouvé la source…
Il y a un animal en moi,
qui s’agrippe à mon coeur,
un énorme crabe.
Les médecins de Boston
ont jeté l’éponge.
Ils ont essayé les scalpels,
les aiguilles, les gaz toxiques et autres.
Le crabe reste.
Autrement, vous pouvez lire par exemple le dernier recueil qu’elle a écrit peu de temps avant son suicide en 1974 dont la couverture est déjà poético-horrifique.
Les oeuvres du pessimiste Jean-Pierre Martinet
Jean-Pierre Martinet écrivait l’obscurité et la fatalité comme personne : pas d’amitié, encore moins d’amour dans ces histoires. On trouve une forme de jouissance esthétique morbide dans son écriture aussi belle que désespérée.
Ses thèmes font autant l’horreur que ses personnes et les situations dans lesquelles ils évoluent : l’autodestruction (par l’alcool en particulier), la perversion, la folie, la solitude maladive.
L’ombre des forêts (1987) est le dernier roman publié de son vivant, il est mort seul et pauvre d’un AVC en 1993. En voici un extrait.
Aucune douce lumière. Ni atroce blancheur de ciel. Se coudre les paupières, avec du fil de fer, comme l'on faisait autrefois avec les éperviers sauvages. Ne plus supporter cette saloperie qui me nargue, et continue à me cracher à la figure son immonde lumière jaunâtre, épaisse, gluante, du pus. Pas sommeil. Inutile d'insister. Heureusement qu'il me reste une bouteille de Saint-Emilion.
Marianne Desroziers en parle mieux que moi sur le blog des éditions de L’abat-jour. D’ailleurs, c’est une Maison d’Édition qui aurait mérité une place de choix dans ma liste des Maisons d’Édition qui éditent des livres d’horreur).
Thomas Owen et ses nouvelles fantastico-poétiques
Thomas Owen, surnommé “Owen-la-peur”, est un auteur belge du XXe siècle. Il déploie souvent des atmosphères vénéneuses et sensuelles, ambiguës en somme. Il mise sur la subtilité pour surprendre, sur le malaise plutôt que la vision d’horreur pour effrayer. Son approche du fantastique est allusive, tissée d'altérations et de mouvements imperceptibles. Et il explore des thèmes comme les fantômes et la collision entre rêve et réalité.
Voici des extraits tirés de nouvelles de Pitié pour les ombres.
Les rives défilaient lentement. Des roseaux, des joncs presque gris, des racines noires dans la berge, des reines-des-prés odorantes, des bouquet d’aune aux branches basses sous lesquelles il fallait se baisser très fort. (“Les petites filles modèles”)
L’appel à la nature et particulièrement aux plantes fabrique instantanément de la poésie tant cela convoque nos sens et nos émotions.
Répugnante petite créature au visage bouffi, vessie d’où émanait une sorte de dignité grossière. Les traits, imprécis dans cette chair aqueuse, reflétaient cette hypocrite bonhommie, plus hypocrite que tout. Cet affreux bout de femme avait l’air d’une énorme sangsue anémique, toute gonflée d’eau sale, visqueuse et laiteuse. Lente à se mouvoir, tenace et prudente, cette outre humaine se traîna jusqu’à la route et là, bientôt à court d’haleine se pousse péniblement vers le village… (“Les Vilaines de nuit”)
Le rythme des phrases et le chant que cela produit sont millimétrés comme ceux de la poésie, tout en créant des images dégoûtantes et une atmosphère malsaine : “outre humaine” est un bon exemple du mélange poésie-horreur, par l’image inventée d’une femme revenue d’outre tombe, une morte objectifiée. Le vocabulaire, riche, participe à cette force évocatrice.
L’œuvre gothique de Louise le Bars
J’ai aussi pensé à la littérature gothique, qui peut souvent flirter avec la poésie. En tout cas, c’est le souvenir que j’ai de Vert-de-Lierre et Âmes-Soeurs de Louise Le Bars par exemple, dont voici un extrait.
[…] vos âmes sont de petites choses bien capricieuses et lunatiques. Elles ne sont pas forcément cachées au même endroit salon la coquille humaine. Extrêmement volatiles, elles ont la malice et l’intelligence de se nicher dans les cavités de l’être les plus inattendues et insoupçonnées ; dans ses moindres recoins, aussi minimes soient-ils. C’est infiniment petit et léger, une âme.
D’ailleurs, cette nouvelle est tirée du recueil de nouvelles sombres Nous parlons des Ténèbres et je te recommande de le lire pour y découvrir les plumes horrifiques de femmes françaises.
Moi et le haïku horrifique à 22h du soir
Je ne lis pas particulièrement de poésie. Pas parce que je n’aime pas ça, mais parce que dans la vie de lecteur·ice il faut faire des choix (je ne t’apprend pas qu’il y a trop de livres pour tout lire en une seule vie). J’en ai lu par le passé, pas toujours par choix cela dit, et j’en lirais probablement à l’avenir !
Il y a quelque jour, dans le cadre du Challenge Ma Petite Planète (rien à voir avec mon activité d’auteure, mais plutôt avec ma vie d’écolo’), j’ai dû écrire un haïku en 5 minutes pour gagner 2 points. Après m’être renseignée sur l’exercice, je l’ai fait et j’ai trouvé ça super.
Puis, avant-hier soir, alors que je peinais à m’endormir dans l’obscurité de ma chambre, j’ai pensé : « Si j’écrivais des haïku d’horreur ? »
Si tu es un·e adèpte des haïkus tu dois rougir de fureur parce que ces courts poèmes japonais sont censés avoir pour thématique récurrente le lien émotionnel qu’on entretien avec la nature (d’où le défis de Ma Petite Planète d’ailleurs).
Mais ! J’ai découvert ce soir qu’un certain Julien Vocance (podcast de l’Association Francophone de Haïku), un diplômé français envoyé en guerre en Asie, a écrit des haïku de guerre à l’évocation plutôt morbide, publiés dans le recueil Cent visions de guerre en mai 1916.
Si la règle originelle du haïku est très stricte, dix-sept syllabes réparties sur trois vers avec, obligatoire, la présence d'un " mot de saison " , les premiers haïjin français ont assoupli leurs contraintes en ne respectant pas toujours le compte des syllabes. (Source : Julien Vocance et les haiku de guerre)
A suivre, trois haïku de Julien Vocance.
Les cadavres entre les tranchées,
Depuis trois mois noircissant,
Ont attrapé la pelade.
Malaise de toute la chair
Où , dans un instant,
peut entrer La mitraille proche.
Par petits paquets,
En éventail autour de lui,
Sa chair a jailli.
Alors, ne sont-ce pas des haïkus horrifiques ? En tout cas, ils évoquent l’horreur avec une force poétique intense. A chaque fois que j’en lis un, je vois le front de guerre, les corps déchirés par les obus, la sueur sur les front et je sens la peur.
Je crois que son mépris pour la poésie symbolique et conceptuelle ne peut être plus flagrant tant il est réaliste.
Je me suis essayée, hier soir, à créer trois haïku horrifiques.
Sous terre les péchés,
les démons les célèbrent,
l’Enfer les brûle.
Il guette dans l’ombre,
assoiffé de ton sang pur,
les crocs acérés.
Personne n’y échappe
Il te suit en cauchemars
Préfère l’insomnie.
Avant de partir, j’ai un exercice pour toi.
Tu as aimé mes haïku ?
Et si tu créais un à trois haïku horrifiques toi aussi ? L’exercice est amusant, créatif et satisfaisant !
En bonus, si tu me les envoie (par mail ou via Instagram), je pourrais en sélectionner un ou plusieurs que je publierai dans une prochaine édition des Papiers Noirs à l’Encre Rouge.
Si tu as besoin d’aider pour créer un ton haïku, je te recommande le site de l’Association francophone de haïku.
Tes cadeaux pour te remercier de partager “Les Papiers Noirs à l’Encre Rouge”
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A mercredi prochain 👋