L'écriture est-elle politique ? Oui.
Ca serait quoi la France de 2028 ? Sur un coup de tête et parce que l'écriture est politique et thérapeutique, j'ai écrit pour toi une micro-fiction d'anticipation. J'espère que t'aime la SF.
Salut 👋
Merci beaucoup de faire partie des 57 abonné·es qui lisent mes chroniques, mes top, mes réflexions et mes histoires inédites à travers cette newsletter hebdomadaire (qui a eu des haut et des bas à la fin du printemps).
Bon, je sais que t’as pas besoin de moi pour savoir que le climat français est particulièrement tendu ces dernières semaines.
Entre les Jeux Olympiques qui sont déjà une catastrophe sociale, économique et écologique, le résultat brutal des élections européennes et les soudaines élections législatives française... Sans parler d’un tas d’autres choses.
La plupart du temps, comme la plupart des gens, je prends du recul sur la situation et j’évite de faire tourner ma vie autour de l’actualité (bien qu’elle ait un impact parfois direct sur mon quotidien).
Mais parfois, c’est juste impossible de rester dans le déni.
Parfois, faire comme si de rien n’était demande de l’énergie qu’on a pas.
Et dans ce cas là, j’ai un exutoire plutôt efficace me concernant : l’écriture.
Tu te demandais pourquoi j’étais en train de te parler politique ?
L’écriture est politique.
En 40 éditions des Papiers Noirs à l’Encre Rouge, je n’ai jamais officiellement politisé la newsletter. Mais mes textes ont quasiment toujours délivré un message qu’on peut qualifier d’engagé. A partir du moment où je dénonce des comportements, je me positionne, je te partage mes convictions.
Tout ça pour dire que j’ai écrit un texte d’anticipation.
Bonne lecture 😄
Vies en sursis

Ça fait une heure que je me tiens immobile devant la fenêtre. Je regarde les lumières tremblotantes des lampadaires qui dessinent mon ombre sur les murs délabrés de l’appartement de fortune. La nuit tombe sur Paris, enveloppant la ville d'une obscurité oppressante. La capitale française, autrefois symbole de liberté et de diversité, ressemble maintenant à une cage dorée pour ceux qui n'entrent pas dans les nouvelles normes imposées par le gouvernement.
À dix-sept ans, je me sens déjà usée par la vie. Je songe à ce qu’aurait pu être cette soirée dans une réalité parallèle : sortie tardive, bar, boite de nuit. Mais tous les lieux assez ouverts pour accepter des gens comme nous ont mis la clé sous la porte, l’un après l’autre.
Mes yeux piquent. La fatigue s’accumule à cause des nuits sans sommeil. Au moment de tirer la couverture, mon avenir est encore plus incertain que le jour. C’est pire quand je sens mon corps changer. En passant mes mains sur mon ventre, j’imagine déjà le calvaire d’être une mère mineure. Non, je ne peux pas. Je ne veux pas !
Je me haïs. D’être tombée enceinte et de n’avoir aucune échappatoire. Cette société m'a retiré le droit de choisir de donner la vie ou non, comme si mon corps ne m’appartenait pas. Et mes parents le cautionnent. Voilà deux semaines qu’ils m'ont chassée de la maison, sans un regard en arrière. Que cette grossesse soit désirée ou non, je suis un monstre à leurs yeux dès lors que je pense à avorter. Je suis une honte, une déception, un problème dont ils se sont débarrassé.
Heureusement que Malik est là. Son logement est exigu, mais je trouve un peu de réconfort ici. On se serre les coudes. Je n’ai pas beaucoup d’argent pour les aider à payer le loyer, mais c’est toujours ça. Depuis que les soins aux personnes trans ne sont plus remboursés par la sécurité sociale, Alex est prudent. Ça faisait six mois qu’il était sous testostérone quand les médecins qui le suivaient ont mis fin au traitement. Comme ça, du jour au lendemain. Les associations LGBTQIA+ ne peuvent plus rien pour lui. Elles ont été dissoutes quand les organismes publics ont cessé de les subventionner, de leur prêter des locaux, de leur autoriser des rassemblements ou des manifestations. Et pourtant, je ne l’entends jamais se plaindre, même s’il est évident que ça le ronge. Disons qu’il s’en fait encore plus pour Malik dont la couleur de peau a fait de lui une cible.
Tous les deux vivent dans la peur constante depuis leur dernière agression. La persécution par lettres anonymes, ce n’est rien à côté des coups de latte qu’ils ont pris en rentrant de la pharmacie, il y a quatre jours. Ils ne porteront pas plainte. S’exposer au poste de police, c’est risquer plus de violence. Les forces de l’ordre se rangent systématiquement du côté des agresseurs. Avec leur matraque et leurs casques, ils alimentant un climat de haine et de méfiance.
— Tu devrais te reposer.
Malik vient d’entrer dans la pièce. Son sourire bienveillant n’a pas quitté son visage malgré les cernes sous ses yeux. Je sais qu’il fait des cauchemars la nuit, j’entends parfois Alex le réveiller. Il est en passe de perdre la nationalité française qu’il a acquise en naissant sur le territoire. Déjà que sa boite a trouvé un prétexte pour le virer et qu’il n’aura pas droit à plus de trois mois de chômage… Ca faisait six ans qu’il travaillait là-bas. Il envisage de retourner en Afrique. Au moins, là-bas on ne le traiterait pas de sale noir. Mais à quel prix ?
Je hoche la tête. Mais dans le fond, je sais que le sommeil est un luxe inaccessible. Depuis un mois, un être grandit dans mon ventre et je n’ai encore aucune idée de la façon dont je vais pouvoir surmonter ça.
— On trouvera une solution, dit-il comme s’il avait lu dans mes pensées. On doit juste rester forts et ensemble.
Alex, est toujours assis à la table de la cuisine. Chaque fois qu’il tourne les pages de sa revue, j’ai l’impression qu’il va les arracher. Il cherche désespérément des informations sur des groupes de soutien clandestins, des médecins prêts à risquer leur vie pour aider des jeunes femmes comme moi. On s’interdit d’utiliser les réseaux sociaux, ils sont gangrenés par les fascistes, surveillés par des robots entraînés pour nous localiser. Mais les lois oppressives poussent la solidarité dans les tréfonds de l’illégalité. Ce n’est pas parce qu’ils nous interdisent de vivre qu’on va subitement arrêter d’exister.
— Je crois que j’ai trouvé un contact. Ce ne sera pas facile… Les procédures restent longues. Mais il y a bien des résistant·es, des gens prêts à se battre pour nos droits.
Une vague d’espoir me traverse. Je déglutis avec difficulté, parce que j’ai du mal à croire que je tiendrais encore quelques jours, ne serait-ce que jusqu’à demain. L’instant d’après, je ne peux pas concevoir que le monde bascule ainsi dans le chaos. On doit protester !
La France de 2028 n’est plus celle que j’ai connue enfant. C’est un lieu où la survie est un acte de résistance.
Je me retourne vers la fenêtre. La ville est endormie, mais pas la lumière des lampadaires qu’on laisse allumés pour rassurer artificiellement les Parisiens. Je tire les rideaux et alors la pièce est plongée dans l’ambiance orangée provoquée par la lampe de chevet. Le moment est venu d’affronter les ténèbres.
Pars pas ! J’ai une question pour toi.
S’il c’est un sous-genre que je n’ai pas cité, tu peux me le donner en commentaire. Et penses à me donner le nom d’une ou deux œuvres dans ce genre que tu aimes fort au point que je fasses tout pour la lire ou la visionner puis la chroniquer dans une prochaine newsletter 😃.
Tes cadeaux pour te remercier de partager “Les Papiers Noirs à l’Encre Rouge”
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A mercredi prochain 👋
En ce moment, le genre que j'apprécie en SF c'est le Solarpunk. Je l'ai découvert avec Becky Chambers et c'est vrai que c'est une lecture qui fait du bien.
Bon ben j'espère que tu n'as pas de dons de prophétie hein...
Sujet mis à part, j'ai beaucoup aimé ton écriture ! On s'y croirait brrr...