đ«ïž Manoir hantĂ© | Auteurs VS ChatGPT | Imaginaire rĂ©aliste
Je te décris un manoir hanté en Bretagne, on parle de ces auteurs célÚbres qui se font voler leurs oeuvres par ChatGPT et du paradoxe de la fiction qui se veut réaliste à tout prix.
Avant de te faire frissoner, je tâannonce que la promotion autour de mon recueil de sombre nouvelles 13 Effrois va bientĂŽt commencer, notamment avec un concours pour en gagner un exemplaire. Si ça tâintĂ©resse, check bien tes mails parce que tu seras dans les premiers au courant đ
Décris-moi un manoir hanté
Le premier weekend de septembre, jâai dĂ©couvert le compte instagram @le_paginarium dans mon fil dâactualitĂ©. Il propose, pour la 3Ăšme fois, un exercice dâĂ©criture sous la forme dâun concours dont le gagnant est mis en avant sur instagram et obtient un accĂšs anticipĂ© Ă la plateforme de publication que lâĂ©quipe est en train de construire.
Le thĂšme de septembre est :
La vie de chùteau. Il ne faut pas nous raconter tout le récit complet, mais nous décrire le lieu de votre histoire (qui doit donc avoir un lien quelconque avec un chùteau).
Si tu me connais, tu sais que mon prisme de crĂ©ativitĂ© câest souvent le vague genre de lâhorreur.
Voici pour toi mon texte, en exclusivité. Veinard·e.
De brume et de marĂ©cages. VoilĂ de quoi est entourĂ©e lâĂ©ternelle demeure de Kurt Hausser. Le chĂąteau aux trois tours piquantes flotte sur cette Ăźle bretonne inaccessible. Ses fondations ne font plus quâun avec la vase floue.
Au demeurant délabré, ses pierres encore vaillantes ne sont que façade. Son hostilité apparente en revanche, est un avant goût de ce qui vous attend, malheureux visiteur, trop curieux.
En passant la porte grinçante ornĂ©e de mĂ©tal, vous pĂ©nĂ©trez dans lâantre abandonnĂ© Ă un passĂ© destructeur. Le sol de pierre est fendu de toute part. La mousse et lâherbe ont trouvĂ© un chemin dans les fissures et donnent au hall dâentrĂ©e du manoir des allures dâextĂ©rieur. Un immense lustre est encastrĂ© au centre de la piĂšce, laissant des dĂ©bris de cristal parsemer lâespace. Sur la gauche, un escalier aux rambardes sculptĂ©es vous incite Ă monter. Mais vous-y aventurerez-vous seulement ? Vous sentez cette atmosphĂšre humide et glaçante. Ce nâest pas la faute du vent marin qui fouette la bĂątisse, ce froid vient des abysses. Et le souffle que vous entendez, câest celui du fantĂŽme qui hante ces lieux depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale. Alors vous prĂ©fĂ©rez contourner le lustre Ă©clatĂ© et entrer dans la salle de rĂ©ception. Une longue table en bois massif prend toute la place. On peut y compter treize chaises. Il en manque une. Mais ici, le lustre Ă bougies est intacte, si on occulte la cire coulante figĂ©e. Les rideaux de velours bordeaux ont perdu leur Ă©clat, ils sont triste et dĂ©chirĂ©s par endroits. Mais ils empĂȘchent toujours la faible lumiĂšre dâĂ©clairer ne serait-ce quâun peu lâintĂ©rieur du chĂąteau
Câest une note de musique qui vient de chanter alors que vous vous perdez en contemplation ? Impossible. Vous faites demi-tour. La porte du salon claque, vous jetant dehors. Alors, une mĂ©lodie sâĂ©lĂšve depuis la piĂšce oĂč trĂŽne un imposant piano Ă queue. Dans une verriĂšre cylindrique, il joue mystĂ©rieusement un air dâun autre temps. Il est dĂ©saccorder, ça nâest pas trĂšs harmonieux, dâailleurs, ça vous fait grincer des dents et vous prĂ©fĂ©rez revenir en arriĂšre plutĂŽt quâentrer dans cette nouvelle piĂšce.
Dans le hall, un voile mouvant floute le dĂ©cor. Il est silencieux. Câest Kurt Hausser, ou ce quâil en reste. Ancien officier du rĂ©gime nazi, occupant violent et tyrannique, il a Ă©tĂ© assassinĂ© aprĂšs la libĂ©ration nationale. FusillĂ© dans sa chambre, en haut des marches en pierre que vous osez enfin franchir. Depuis, il traĂźne sa rancĆur et sa haine dans la demeure. Ătes-vous prĂȘt Ă affronter son dĂ©sir criminel de vengeance ?
Sentez-vous cette odeur Ăącre ? Elle sâĂ©lĂšve depuis le sous-sol et traverse la pierre. Un mĂ©lange irritant dâalgue en dĂ©compositions et de sang. Pour y Ă©chapper, vous grimper Ă lâĂ©tage. La rambarde est froide, vous Ă©vitez de la toucher et vos pas rĂ©sonnent dans le vide. Au bout de ce long couloir tapissez de noir et de rouge, il y a la fameuse chambre Ă coucher. Câest la piĂšce la moins inhospitaliĂšre du manoir, parce que son planchĂ© est en parquet lustrĂ©. Il nâest pas exempt de blessure, il craque et la poussiĂšre Ă fait disparaĂźtre sa brillance, mais il existe. Le lit Ă baldaquin, plaquĂ© contre lâun des quatre murs nâest pourtant pas si accueillant. Les draps dĂ©faits et froissĂ©s vous rappellent quelque chose ? En approchant, vous verrez les Ă©claboussures rougie sur le linge, les impacts de balle dans la tĂȘte de lit Ă©corchĂ©e.
Vous nâavez quâune envie, fuir !
Lâambiance est pesante. Vous courrez dans le couloir et la vitre dâune grande fenĂȘtre explose sous une impulsion invisible. Haletant, vous dĂ©valez lâescalier en direction de la grande porte ouverte sur les marĂ©cages. Et vous ĂȘtes prisonnier de cette eau opaque sous une bruine grisonnante. LâĂźlot isolĂ©, vous nâen partirez plus jamaisâŠ
Câest la premiĂšre fois que jâĂ©cris Ă la 2e personne du pluriel.
Est-ce que tu tâes senti·e immergĂ©e lâimmersion fonctionne ?
Ces auteurs portent plainte contre un robot
Les plateformes de téléchargement illégal, ça existe aussi en littérature.
Non seulement ça ne rĂ©munĂšre pas la chaĂźne du livre, notamment lâauteur qui touche au mieux 10 % du prix du livre en temps normal, mais en plus ça alimente une machine infernale : lâIntelligence Artificielle.
Ce nâest pas de la science-fiction, câest ce qui est en train de se passer.
Et des auteurs entendent ne pas se laisser faire. Margaret Atwood (La Servante écarlate), Suzanne Collins (Hunger Games), et Dan Brown (Da Vinci Code), entre autres, ont porté plainte contre OpenIA cet été.
Et je comprends que ces auteurs pĂštent un cĂąble. Leurs Ćuvres sont utilisĂ©es par la technologie pour entraĂźner lâalgorithme de lâIA au point que je puisse demander Ă un robot dâĂ©crire un morceau de mon rĂ©cit Ă leur maniĂšreâŠ
Ah bon ? Câest possible ça ?
Jâai tentĂ© le coup, voilĂ comment Stephen King aurait Ă©crit Le Manoir Hausser selon ChatGPT :
Bien trouvĂ© ça : âSon apparente hostilitĂ© est un avertissement pour les visiteurs imprudentsâ đ
Et voilĂ comment Franck Thilliez lâaurait Ă©crit (toujours selon ChatGPT) :
Mouais⊠Câest vraiment le style de ces auteurs ? Je ne crois pas ! Surtout quâen lisant lâintĂ©gralitĂ© des textes factices, on repĂšre la similitude de la synthaxe par moment. Pourtant King et Thilliez ont des styles bien diffĂ©rents, mĂȘme si le second est un grand admirateur du premier.
Ce qui mâeffraie, câest surtout la qualitĂ© (relativement subjective) de ce que ce robot produit. Certes, câest Ă partir dâun texte que jâai dĂ©jĂ bien travaillĂ© ! Mais⊠Et si tu prĂ©fĂ©rais lire lâĂ©dition ChatGPT plutĂŽt que lâoriginale, la mienne ? đš
Le réalisme tue ma motivation
Jâai de lâaffection pour les Ćuvres de fiction rĂ©alistes, plausibles, crĂ©dibles quoi.
Plus ça Ă lâair vrai, plus je suis happĂ©e dans lâhistoire au point de devenir, presque, lâun de ses personnages.
Logiquement, câest ce que jâai envie dâĂ©crire !
Sauf quâen gĂ©nĂ©ral, cette exigence me bloque.
Parce que mon perfectionnisme me pousse à faire des recherches intenses pour trouver des détails historiques, des réponses scientifiques, des vérités biologiques⊠Tout ça, pour que toi, lecteur·ice, tu ne sortes pas de ta lecture à un moment en te disant :
« Hein ? Elle se fout de ma bip ! Jây crois pas une seconde Ă cette histoire de mĂ©moire sur disque dur đ »
Alors, jâai des idĂ©es gĂ©niales ! Si si, je tâassure (mais ça nâest pas le plus dur, tu le devines). Mais souvent elles restent des idĂ©es⊠Parce que je nâai pas le temps de lire des tas dâarticles, de croiser mes sources et de dĂ©vorer des manuels pour Ă©crire une nouvelle imaginaire de 10 pages. (Promis, pour un roman, je fait cet effort.)
Je dis bien âimaginaireâ ! Quel paradoxe. Je me mets une pression monstre de vĂ©racitĂ© pour une fiction qui sâautorise le surrĂ©alisme. WTF.
Le moment est venu dâĂȘtre moins rigide sur mes propres rĂšgles au risque dâĂ©corcher (Ă vif) la vraisemblance.
Je suis certaine que quand tu lis, tu ne remets pas en question tous les choix de lâauteur Ă commencer par ceux qui ont dâinfimes liens avec la rĂ©alitĂ©.
Je ne dis pas⊠Bien sĂ»r, quand une rue de Rennes est mal situĂ©e, ça fait criser (je lâai vĂ©cu en lisant un policier rĂ©gional alors que je connais trĂšs bien la ville pour y avoir vĂ©cu).
Mais tu auras tendance Ă te laisser berner par un balais magique qui permet Ă des humains de voler au-dessus des nuages sans risquer lâhypothermie.
Tu vois oĂč je veux en venir.
DĂ©sormais, jâai dĂ©cidĂ© de me laisser un peu plus de libertĂ©. Et le reste du temps, je vais contourner le problĂšme, exactement comme lorsque jâai crĂ©Ă© une ville imaginaire ayant des similitudes avec DĂ©troit dans le Michigan aux Ătats-Unis pour Ă©viter quâon me tombe dessus, parce que non, je nâai jamais voyagĂ© de lâautre cĂŽtĂ© de lâAtlantique ! mais ça ne mâempĂȘche pas dâĂ©crire des histoires qui sây dĂ©roulent⊠Jâai un minimum de culture qui me le permet. Comme toi je regarde des films, des sĂ©ries, je lis des livres (sans blague) et je lis les mĂ©dias aussi.
Bon, maintenant câest le moment des plaintes. Dis moi quel dĂ©tails dans une fiction tâa dĂ©jĂ fait dĂ©crocher pour manque de crĂ©dibilitĂ© ?