Stephen King dans la peau d'une femme battue
Ici, ni chronique, ni TOP, ni recommandation littéraire, mais plutôt la dissection d'un roman d'horreur. Je te réserve une petite surprise en audio !
Il y a deux semaines, je te demandais si t’étais plutôt cinéma ou littérature (en tout cas pour ce qui est des sujets de mes newsletters impaires) :
Et il est clair que la majorité est bien contente de pouvoir y trouver les deux !
Ca tombe bien, je pense que j’aurai difficilement pu me passer de parler de l’un de ses deux supports artistiques tant ils sont liés et tant ils font partie de mon quotidien.
Les sondages rassurant pour confirmer une hypothèse : j’aime.
Merci de lire mes Papiers Noirs.
Pas de nouveaux depuis mercredi dernier, mais il ne tient qu’à toi d’inviter un·e copain·e !
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La dernière fois, je chroniquais 3 films de genre. Alors aujourd’hui, je vais te donner super envie de lire un roman horrifique : Rose Madder de Stephen King.
Ready ? Bonne lecture !
Rose Madder, de Stephen King : un prologue aux petits oignons
Ce n’est vraiment pas le bon jour pour te proposer ça, car je couve (encore) un bon gros rhume, mais je tiens cette idée depuis hier nuit, 4h du mat’ après un réveil intempestif alors…
Je t’en prie, si tu le veux, écoute ces 6 minutes de lecture. Ce sont les 3 premières pages du prologue de Rose Madder. Ca va te mettre dans l’ambiance et tu comprendras mieux de quoi je te parle juste après.
Merci de ne pas juger le jeu d’actrice…
Rien qu’en relisant ce passage pour toi, qui est tout bonnement l’incipit (et un peu plus), j’en ai eu mal au ventre. Le genre de sensation que j’ai l’habitude de ressentir quand je mate un film bien dégueulasse à me faire grimasser de douleur.
Si Stephen King y parvient avec des mots, c’est parce qu’il est ultra doué. Si tu veux bien, on va discuter un peu de ce qui fonctionne dans ce prologue.
Un début in medias res
« Bienvenue dans l’enfer quotidien d’une femme battue. »
Ca décrirait pas mal notre histoire, hein ?
Dès les premiers mots, tu sais où tu fous les pieds. Si t’avais besoin d’un feel good pour te remonter le moral, tu peux refermer ce bouquin immédiatement. Autrement, tu es dans ton élément.
Stephen King n’introduit pas son personnage principal au milieu d’une scène banale pour nous détailler la couleur de ses yeux et de ses cheveux, ou encore sa tenue, et à quoi ressemble l’intérieur de sa maison.
Parce qu’on en à rien à foutre de tout ces détails ! Surtout à ce stade. Commencer une histoire par une exposition fade a peu de chance de fonctionner, d’autant plus à l’époque où au bout de 7 secondes ont swipe vers le haut…
Au lieu de ça, l’auteur opte pour une première impression marquante.
Après avoir lu plus de la moitié du roman, c’est encore le prologue qui me vient en premier à l’esprit lorsque je pense à Rose Madder.
Bien sûr, il existe d’autres façons efficaces de commencer une histoire, mais beaucoup de thrillers utilisent cet effet.
Dans mon roman en cours de réécriture, j’ai fait le même choix. Et je constate que Stephen King et moi avons ce point en commun : malmener les femmes (ou bien c’est la vie qui s’en charge ?) dans nos prologues.
Une maitrise du show don’t tell
Encore une expression étrangère ! En français ça donnerait : « Montre-le moi au lieu de me le dire ».
Cette technique d’écriture est de plus en plus répandue et elle nous vient probablement du cinéma. Au cinéma, il n’y a pas de narrateur (sauf dans les films qui comportent une voix off, mais avoue que ça n’est pas si fréquent…).
Donc on ne peut pas dire : « Rosie a très mal au ventre. » Ce serait bizarre, de toute façon, ça tomberait comme un poil dans la purée. En revanche, la caméra peut montrer Rosie en souffrance, dans un coin de la pièce, assise au sol à gémir de douleur et à murmurrer pour elle-même des prières.
Dis-donc, c’est pas justement ce que fait King ? La vache !
En littérature, on dit de moins en moins et on montre de plus en plus.
Bien qu’à l’écrit on ait une possibilité de plus qu’au cinéma : on peut exprimer les pensées des personnages parce qu’on peut entrer dans leur tête. En réalité, c’est possible dans le ciné, mais beaucoup plus compliqué qu’en littérature…
Bref ! Si tu crois à l’agonie de Rosie, c’est parce qu’elle agit en ce sens : elle respire mal, elle se touche et s’en retrouve les doigts couverts de sang, elle a des sensations désagréables dans le corps. Plus encore, ça lui rappelle une chute de vélo ! Et si tu es déjà tombé·e à vélo (aller, ne mens pas, moi aussi j’ai fait un soleil à 11 ans en frenant que de l’avant), tu peux facilement te représenter le choc d’un crâne qui heurte le bitume.
Un lien d’empathie unique
Pour en avoir croisé de toutes sortes, j’ose penser que les lecteur·ices de Stephen King ne se ressemblent pas. Peut-être que la moitié de ses lecteur·ices sont des hommes.
De fait, les lecteurs (hommes donc, tu suis ?) s’identifieront difficilement à une femme enceinte en train de perdre son bébé à cause d’un type qui l’a tabassée.
Pourtant, cette femme, dont on ne connaît ni le prénom, ni l’âge, ni le physique, n’importe qui en train de lire ces horribles mots se met à la plaindre sincèrement.
Ca s’appelle l’empathie.
Et ça ne fonctionne que parce que Stephen King a toujours su manier l’art de caractériser ses personnages pour les rendres aussi vivants que réalistes dès les premières phrases.
C’est évidemment en lien avec le précédent point que nous avons évoqué. Le narrateur ne dit jamais explicitement que cette femme a peur de son mari. Pourtant, si tu m’as écoutée lire, tu l’as compris. Mieux, tu l’as senti ! Parce que Rosie murmurre sa peur en invoquant la grace de Dieu, mais aussi parce qu’elle observe son mari du coin de l’oeil, ou plutôt son ombre qu’elle semble percevoir comme quelque chose de menaçant.
Alors, à la lecture, on sait que ça sent mauvais pour elle. Norman a appelé les urgences, n’est-ce pas ? Mais ce type est tordu. Ca se sent dans sa façon de parler au téléphone puis à sa femme qu’il vient de brutaliser jusqu’au sang, et même à sa façon de se déplacer. Lui aussi a son identité propre, bien définie.
Au contraire, à son égare, on est antipathique, on s’en méfie.
Il n’en faut pas plus pour susciter à la fois la frayeur et l’envie de tourner les pages. On veut tout savoir de ce couple. On veut savoir si le bébé est bien mort, si Rosie va s’en sortir, comment ? Etc.
Prologue réussi ! Ainsi soit-il.
Attend, j’ai une question pour toi !
J’espère que cette newsletter spéciale dissection d’un roman de genre t’aura donné envie de lire Rose Madder ! Si oui, laisse-moi un like avant de partir.
A mercredi prochain pour parler d’écriture et de mes projets 👋
PS : j’en suis actuellement à la page 312 de Rose Madder.
Je ne connais pas ce roman de Stephen King, mais j'ai eu une phase en fin d'année dernière où j'en ai lu 4 d'un coup (dont plusieurs en audio, j'adore l'audio) : la trilogie Mr. Mercedes et Holly. Et ce que j'adore chez lui, c'est comme tu l'as dit, la manière dont il nous fait vivre ce que les personnages éprouvent. Tout est tellement réel chez lui, c'est ça qui fait le plus flipper !