Ce que tu rates en zappant la préface des livres
Je te montre en quoi la préface peut changer ton expérience de lecture, même dans la littérature de "mauvais" genre.
Chair lecteur·ice 😈
Souhaitons la bienvenue à Isabelle, Jacquot, Célia, Céline et Antoine, dans l’enfer de cette 68e édition des Papiers Noirs à l’Encre Rouge. On sera bientôt 100 ici, et peut-être qu’on fêtera ça avec une surprise…
Je t'’en dirais plus la semaine prochaine.
Dans ces Papiers Noirs tu trouveras de quoi (re)découvrir des pépites littéraires et cinématographiques entre thriller, fantastique, horreur et science-fiction. Par le prisme de l’écriture, de la lecture et de l’actualité, c’est sang pour sang '“mauvais” genres.
Bonne lecture !
🔪En un coup de couteau
C’est quoi une préface et ça sert à quoi
Les préfaces des romans de “mauvais” genre
Je me demande si les lecteur·ices prennent réellement le temps de lire la préface d’un roman avant de plonger dans l’histoire… Et tu te dis peut-être que je me pose des questions inutiles. A moins que ta curiosité n’égale la mienne !
La préface, ça sert à quoi ?
La définition du dico dira qu’il s’agit d’un texte introductif figurant dans les premières pages d’un ouvrage, avant le récit.
Mais j’ajouterait qu’il est (normalement) écrit par quelqu’un d’autre que l’auteur·ice de livre qu’on s’apprête à lire.
Aujourd’hui la préface est l’équivalent d’un featuring pour se la péter, vanter les mérites d’un ouvrage, en recommander la lecture et reconnaître la qualité intellectuelle du texte via l’appréciation d’un paire
La vocation d’une préface est de dire en quoi le texte qui suit est remarquable. En général, c’est soit parce que l’auteur est lui-même remarquable. Soit parce que le contenu du texte à venir est admirable, pour telle ou telle raison. Librinova
Ca n’a pas toujours été ainsi.
La préface existait déjà dans l’antiquité, chez les latins et chez les grecs. Elle devient quasi systématique à partir du XVIIe siècles, et a sert à valoriser un roman ou à le défendre contre les éventuelles critiques.
Au XIXe siècle, la préface permet aux auteur·ices de contextualiser l’œuvre et d'expliquer leurs innovations littéraires.
Ah, et si tu te demandes, la préface n’est pas la même chose que l’avant-propos. L’avant-propos est écrit par l’auteur·ice et contient principalement des anecdotes de fabrication du livre, son origine et dans le cas de Stephen King (ou de son fils Joe Hill), ça peut être long, mais c’est surtout monstrueusement intéressant et drôle.
Un nouveau monstre nous rendait visite tous les soirs. J’avais un livre que j’adorais, Bring On the Bad Guys, […] un florilège d’histoires sur les personnages les plus ignobles, d’abominables psychopathes affublés de noms tels que l’Abomination et de visages ) l’avenant. Mon père était contraint de me le lire chaque soir. Il n’avait pas le choix. C’était un de ces accords à la Schéhérazade. Le Carrousel Infernal, Joe Hill (2019)
Mais tu te demande peut-être pourquoi diable je te bassine avec la préface alors même que c’est plutôt un truc réservé à la littérature classique et la littérature blanche alors qu’ici on ne s’occupe que des “mauvais” genres !
Une préface pour les œuvres de “mauvais” genre ?
A ma connaissance, les romans de Franck Thilliez, n’ont jamais commencé par une préface. Jamais. Pourtant, il s’agit de l’auteur de thrillers noirs français le plus lu de France…
Ca peut vouloir dire que l’influence marketing de la préface n’est pas vraiment au goût du jour, et je n’en serai pas étonnée. Personnellement, je vois la préface comme un moyen pour l’auteur·ice de se voir jeter des fleurs et pour les lecteur·ices de découvrir des facettes cachés de l’auteur·ice.
Puis, pour les besoins de cette édition 68, j’ai ouvert Le Manuscrit inachevé de Franck Thilliez - que je n’ai pas encore eu la chance de découvrir mais qui est dans ma bibliothèque - et j’ai découvert une préface. Une fausse. Elle est écrite par une personne qui n’existe pas J.-L. Traskman, soit-disant fils de Caleb Traskman, un auteur tout aussi inexistant. Des personnages !
Il s’agit d’un prologue déguisé en préface qui rempli parfaitement son rôle. La lecture de ces 4 pages et demi m’a donné envie de dévorer le roman, tant le mystère est bien posé.
Pour parler de véritables préfaces, je tiens à mentionner la dernière que j’ai lue. Elle a été rédigée par Michel Pagel dans le recueil de nouvelles Rêves de cendres de Mélanie Fazi. Cette préface est à la fois un étalage des aléas d’auteur de Michel Pagel et un récit de sa rencontre avec Mélanie Fazi alors que celle-ci était une de ses lectrices admiratives. Il fait clairement l’éloge de l’autrice, comme pour nous assurer qu’on a pas balancer 15 € par la fenêtre.
Mélanie Fazi est un monstre. Il devrait y avoir des lois contre ça. […] elle me fait l’amitié, quand elle termine un texte, de me l’envoyer pour solliciter mes avis et conseils de vieux sage à barbe blanche. Lesquels se résument en général à quelque chose comme : « Écoute, page 3, ligne 12, je crois que tu devrais mettre la virgule ici au lieu de là. » Et encore, si ça se trouve, c’est elle qui a raison, mais je chipoterais sans honte ses virgules à un Nobel - et puis il faut bien que je lui dise quelque chose, sinon elle va prendre la grosse tête. Rêves de cendre, Michel Pagel (2010)
C’est un exemple de la préface vantarde, voire de message privé qui passe sous nos yeux alors qu’il est adressé à l’autrice. Un peu gênant, mais pour l’autrice c’est certainement glorifiant !
Mais il y a, même dans la littérature de genre - et peut-être même SURTOUT dans la littérature de genre, des préfaces politiques. Celle dont je vais te parler maintenant résonne avec l’actualité politique de notre époque, celle qui met en danger nos démocratie, le droit de s’informer, la presse indépendante et qui fait passer la liberté absolue au détriment des autres pour une liberté d’expression.
Cette préface, c’est celle de Jacque Chambon, traducteur des œuvres de Richard Matheson et de Ray Bradbury, entre autres. Dans la préface de Fahrenheit 451, le roman de science fiction de Ray Bradbury, il contextualise l’œuvre parue en 1953 à l’heure où la psychose anti-communiste est au sommet aux États-Unis. A cette époque, on condamnait des gens à mort par suspicion, sans preuve. Et on chassait les opposant·es au pouvoir dont Bradbury faisait partie, en leur interdisant de créer.
[…] Mais le jour où un service organisé comme celui des pompiers incendiaires de Bradbury sera chargé de la destruction systématique des livres au nom du caractère subversif de toute démarche créatrice - écriture aussi bien que lecture - paraît relever d’un futur bien lointain, voire parfaitement improbable. Est-ce à dire que Fahrenheit 451 fait partie de ces visions d’avenir qui, parce qu’elles n’ont pas été confirmées pas l’Histoire, se trouvent frappées d’obsolescence ? La réponse est évidemment non. […] Fahrenheit 451 a été écrit précisément pour que l’univers terrifiant qui y est imaginé ne devienne jamais réalité. Fahrenheit 451, Jacques Chambon (1995)
Dans ce cas précis, la préface est une démarche historique. Non seulement on se souvient dans quel contexte social, juridique et politique le roman a été écrit, mais en plus on pose un regard critique grâce au recul des années écoulées.
La préface peut interpréter le texte. Ca, c’est plus enrichissant, de mon point de vue. D’ailleurs Jacques Chambon réactualise la vision de ce roman d’anticipation en parlant de la censure alors que l’émission littéraire “Caractères” a été supprimée sur France 3 en 1992.
Aujourd’hui, je pense à l’émission “Par Jupiter” qui a été réduite puis définitivement supprimée de France Inter alors qu’elle jouait un rôle de contre-pouvoir par la créativité, l’humour et la littérature.
On ne brûle pas les livres donc, mais…
Alors, la préface on la lit ou on la zappe ?
Quand je lisais sous la contrainte - mais si, rappelle-toi les cours de français du collège et du lycée - je sautais ces pages en plus des trois quarts de celles du récit. Ouais, parce qu’avant d’adorer lire, j’ai dé-tes-té ça.
Mais aujourd’hui, la préface est une introduction qui attise ma curiosité et je la lis toujours avant de commencer le récit en tant que tel, avec grand plaisir. San compter que c’est de la culture générale (toujours utile donc).
Avant de partir, dis-moi.
Si tu lis la préface, dis-moi ce que tu aimes dedans ou ce que tu attends. Tu peux même me parler d’une préface qui t’a marqué·e, tien ! Et si tu ne la lis jamais ou que de temps en temps, dis-moi pourquoi 😉
Tes cadeaux pour te remercier de partager “Les Papiers Noirs à l’Encre Rouge”
Pour rappel, si tu recommandes Les Papiers Noirs à l’Encre Rouge à d’autres personnes, voici les récompenses que tu peux gagner :
1 recommandation → Choisis la prochaine œuvre que je chronique (film ou livre).
7 recommandations → La nouvelle Amort au format e-book.
20 recommandations → Mon recueil de nouvelles 13 Effrois au format e-book.
Il te suffit de cliquer sur le bouton juste en dessous pour obtenir ton lien personnalisé :
J’espère que cette newsletter sur la préface littéraire t’aura intéressé·e. Si oui, laisse-moi un like avant de partir !
A mercredi prochain 👋
Je ne m’étais jamais posé la question, j’avoue. Souvent, je lis quelques lignes puis je trouve ça pas intéressant et comme j’ai hâte d’entrer dans le vif du sujet (le livre), je zappe… mais je vais aborder les choses différemment après cet article ! Merci.