Les book-trailer : quand le cinéma s’invite dans la littérature
Le book-trailer, bonne ou mauvaise idée ? Pourquoi ça existe et est-ce que ça fonctionne ? J'ai mon avis, mais j'aimerais aussi connaître le tien !
Chair lecteur·ice 😈
Souhaitons la bienvenue à Johan et Axel, dans l’enfer de cette 80e édition des Papiers Noirs à l’Encre Rouge.
Dans ces Papiers Noirs tu trouveras de quoi (re)découvrir des pépites littéraires et cinématographiques entre thriller, fantastique, horreur et science-fiction. Par le prisme de l’écriture, de la lecture et de l’actualité, c’est sang pour sang '“mauvais” genres.
Bonne lecture !
🔪En un coup de couteau
L’origine du book-trailer : la bande-annonce
Les book-trailer sont-ils une hérésie ?
Je te donne mon avis sur 3 book-trailer de romans de genre
Qu’est-ce qu’une bande-annonce ?
Extraits d'un film présentés au public avant sa programmation. Larousse
Définition un poil réductrice, si tu veux mon avis.
Courte présentation d’un film qui précède sa sortie dans les salles de cinéma. Académie Française
Davantage basé sur l’objectif de la bande-annonce plutôt que ce qu’elle est vraiment…
La bande-annonce se compose d'une série de plans choisis dans le film annoncé. Son objectif est d'inciter le public à aller voir le film […] Wikipédia
Enfin voilà, tu as l’idée !
Une bande-annonce, dont le nom vient de la bande de pellicules sur laquelle sont enregistrées les images d’un film, est (normalement) réservée au cinéma.
S’il est vrai qu’elle est souvent un montage d’extraits du film méticuleusement choisis, il peut arriver que la bande-annonce soit composée de scènes inédites, tournées pour l’occasion - c’est le cas de la scène où James Bond marche dans le désert qui n’existe que dans la bande-annonce de Quantum of Solace et pas dans le long-métrage - ou bien tout simplement coupées du film parce que le teasing au cinéma se fait de plus en plus tôt, parfois avant même la fin du tournage ou du montage… (Après tout on sort bien des jeux-vidéo pas finis. Coucou Cyberpunk 2077).

Parce que le but d’une bande-annonce c’est de donner aux futur·es spectateur·ices une idée de ce qui les attend dans la version intégrale du film. Pour ça, rien de mieux que d’en dévoiler des morceaux ! Si possible, les meilleurs, mais sans spoiler (enfin ça, ça reste à prouver, perso c’est une des raisons pour laquelle j’évite de les regarder depuis des années).
Si on transposait ça à la littérature, ça reviendrait à lire des extraits - probablement les plus vendeurs - d’un roman avant sa parution. Facile.
Le problème… C’est qu’on vit dans l’ère du tout vidéo. Instagram copie TikTok, LinkedIn s’est mis à la vidéo, même Substack y songe ! Alors lire des bouts d’histoire, ça peut marcher dans le cadre d’un podcast, à la rigueur. Ca peut fonctionner dans le cadre d’un club de lecture. Sauf que ça serait extrêmement court et frustrant.
Mais le phénomène “extrait-d’annonce” (ça pourrait être son nom si j’avais des droits dans le dictionnaire) n’existe presque pas en littérature.
Avant de détailler ça, laisse-moi te faire remarquer que les bandes-annonces composées d’une voix off qui narre le montage comme pour le rendre intelligible malgré le manque de contexte, c’est plus du tout à la mode ! Pareil pour les incrustations de texte du style “It’s about family”, “It’s about justice”, etc…
La bande-annonce de Dracula (Francis Ford Coppola) contient une voix off explicative, mais c’était les années 90.
Pour en revenir au partage d’extraits de livres en amont de la publication, ça se fait dans le milieu de l’auto-édition. Des auteur·ices indépendant·es s’y essaient en dévoilant quelques passages savamment sélectionnés, enrobés dans un design stylé sur un carrousel Instagram. C’est un moyen économe d’occuper le terrain sur les réseaux sociaux jusqu’au lancement du livre.
Moi-même je l’ai fait fin 2023 pour accompagner la sortie de mon recueil de nouvelles 13 Effrois.
Des maisons d’éditions indépendantes continuent aussi de lutter contre le rouleau compresseur qu’est l’algorythme des réseaux sociaux, en témoigne la promotion de La femme la plus dangereuse du monde de Philip Le Roy réédité chez Editions du 123.

Sauf que ça ne suffit pas à faire monter la hype, loin de là !
Alors, l’univers littéraire s’est adapté aux canaux de communication et depuis quelques années maintenant, ce qu’on appelle les book-trailer, soit les bande-annonce version livre, sont légion.
Les Book-trailer sont-ils une hérésie ?
Les book-trailer cochent pas mal de cases de la bande-annonce :
Mood bord
Montage visuel et musical
Annonce d’une date de sortie
Mise en avant d’un titre et d’un·e créateur·ice
Mais là où le book-trailer innove c’est dans l’image. Un livre, je ne t’apprends rien, ce sont des phrases, des mots, des lettres et parfois des illustrations. On ne produit pas de photos et encore moins de vidéo pour créer un objet livre.
Alors pour créer un book-trailer, différents choix s’offrent aux auteur·ices et maisons d’édition :
la solution “tchip” et monnaie courante : piocher des images, vidéos et musiques libres de droit dans des banque comme Pixabay
la solution de luxe : tourner de vraies scènes avec des acteur·ices et acheter les droit d’une musique voire en faire composer une pour l’occasion
la solution fake et non-ethique : utiliser l’intelligence artificielle (je n’en ai pas encore vu, mais des personnes y ont forcément pensé, on connaît l’humanité…)
Et c’est carrément devenu un business !
Des vidéastes se sont spécialisés dans la production de book-trailer, des pro de la tech on créé des outils digitaux dédiés et des influenceur·ses de l’auto-édition se sont mis à faire des tutoriels et à écrire des articles de blog pour t’expliquer pourquoi et comment créer ton book-trailer.
Au-delà du fait que ce genre de conseils peuvent rendre service, à petite échelle, le discours qui se cache derrière me pose question.
Les images et, surtout, la musique, permettent un voyage très immersif dans le monde et l’ambiance d’un roman et ce avec plus d’efficacité que n’importe quelle couverture ou 4e de couverture.
Comme les bandes-annonces de livres s’inspirent beaucoup d’Hollywood, j’ai étudié de nombreuses bandes-annonces de films dans des sous-genres correspondant à mes livres. Notez les durées des bandes-annonces, les styles, les moments clés montrés ou non. Maîtrisez la formule avant de l’appliquer aux livres !
A partir du moment où l’on vend des mots avec des images et de la musique, est-ce qu’on ne trompe pas sur la marchandise ? Quand on est auteur·ices, a-t-on besoin de vidéos pour immerger les lecteur·ices dans notre univers ? Qu’est-ce que ça dit de la littérature qui cherche à ressembler au cinéma, comme ces “page-turner au style cinématographique” de plus en plus plébiscités ?
D’un point de vue artistique, ça n’a aucun sens. Sinon j’aurai tourné des vlogs sur Youtube ou j’aurai tenté des études de cinéma au lieu de créer une newsletter ou d’écrire des histoires.
Néanmoins, ça a un sens d’un point de vue marketing. Et c’est là que se cache toute l’origine du book-trailer. Ce n’est ni pour faire joli, ni pour faire tendance, c’est pour répondre à une exigence marketing qui tourne autour de la vidéo. Surtout dans un monde qui voit paraître plus de 35 000 romans par an.
Pour sortir du lot, tout simplement pour être lu, un roman doit d’abord être vu.
Je ne dis pas que c’est une vérité générale, ni une fatalité. Mais avoue que c’est difficile aujourd’hui de vendre un livre sans jouer le jeu des plateformes et des algorithmes. Parfois, pour arriver en maison d’édition ou en librairie, il faut d’abord prouver la valeur de son histoire via une notoriété capturée par les réseaux sociaux principalement visuels.
Cela dit, ça pose peut-être une autre question : en donnant à voir un livre, est-ce qu’on ne contraint pas l’imagination des lecteur.ices à s’y conformer lors de la lecture ?
Donner un visage à un·e protagonsite, donner une voix à l’antagoniste, montrer un lieu, etc. Tout ces détails qui sont plus ou moins décrits dans un roman et dont le travail et le plaisir des lecteur·ices consiste justement à compléter cette description par le pouvoir de l’imagination peut être réduit s’il a été entamé par un book-trailer.
Enfin, ces format de vidéo-annonce sont si courts qu’il y a peu de chance, à mon humble avis, que ça pourrisse ton immersion au moment de la lecture. Il y a même fort à parier que tu aura oublié le book-trailer au moment de lire le roman…
En bref : faut vivre avec son temps.
Rien n’oblige personne au book-trailer, des tas d’acteur·ices du monde du livre s’en passent et continuent de vendre avec des interview d’auteur·ice, des extraits de texte, des cover reveal et d’autres procédés marketing.
Quelques book-trailer en exemple
Et si je donnais mon avis sur l’effet de certains book-trailer pour en terminer avec ce sujet ?
Là où sombrent les secrets, Céline Bréant
Les éditions Taurnada ont fait appel à un professionnel, New Hope Production, pour au moins une douzaine de leurs book-trailer depuis novembre 2023. On peut en déduire qu’iels en sont satisfait·es !
A la vue du book-trailer, je sais qu’on me parle d’un thriller. Les éléments visuels couplés aux inserts de textes font référence à l’intrigue et aux lieux principaux : une disparition, un secret révélé et une forêt où s’écoule un cours d’eau.
Ce qui me semble relever de l’effet de style et qui sert plutôt l’ambiance que le fond sont la musique, dont la tension grimpe à mesure du trailer ; la saturation de la colorimétrie des images pour leur donner un aspect obscure et glauque ; et les éléments naturels très représentés comme le ruissellement de l’eau et le brouhaha que ça engendre ou la forte pluie, des éléments qui sont peu rassurant.
Finalement, je dirais que si l’objectif est de dire « Voilà un nouveau thriller qui sort en juin 2025 ! », c’est réussi. Mais avec un script pareil, si peu d’informations sur le fond, ça ne sort pas du lot. C’est somme toute un thriller de plus dans la wishlist des méga lecteur·ices qui finiront peut-être par oublier de le lire au profit d’une pile-à-lire estival beaucoup trop chargée.
Ancrier, Delphine Muse
Les Éditions des Lacs - qui ne donnent plus de signes de vie depuis trois ans - ont fait appel à Masi Production (un indépendant dont le site internet n’existe plus….) pour promouvoir les thrillers fantastiques de Delphine Muse dont j’ai lu deux romans.
Dans ce book-trailer, le vidéaste met en image des extraits du roman qui sont lus par une voix off. Cette fois, on a une situation initiale, le nom de la protagoniste et son désir : Emma, écrivaine en manque d’inspiration, part s’isoler pour écrire.
En images, on constate qu’Emma va habiter une demeure au bord de la mer et c’est dès cet instant que tout bascule. La musique et les visuels (encore une fois on utilise l’orage pour stimuler la peur chez les spectateur·ices) accompagnent ce changement d’ambiance et de là on comprend qu’on aura à faire à un mystère plutôt de l’ordre du thriller donc.
A aucun moment on a la certitude qu’il s’agit d’un thriller fantastique, mais ça n’a pas forcément intérêt à apparaître à ce stade parce que le lectorat cible c’est celui qui aime le suspens et les secrets. Le flirt en surnaturel et réalisme n’en sera que meilleur.
Pour moi, c’est mieux ! Parce qu’on a davantage une idée de ce à quoi on va se confronter. C’est plus personnel, plus incarné aussi parce que le texte est filmé et joué. Mais finalement, c’est plus proche du medium cinématographique.
La Cité Diaphane, Anouk Faure
Pocket imaginaire a mis en ligne un book-trailer original. C’est un montage d’illustrations d’Anouk Faure sur la musique “La chute de Roche-Étoile” de Ben Talagan Babut, avec l’incrustation de textes qui mis bout à bout pourraient former une quatrième de couverture synthétique.
En regardant ce trailer, je songe évidemment que La Cité Diaphane appartient au genre de la fantasy, peut-être de la fantasy médiévale (en réalité, ce serait de la fantasy gothique d’après certain·es).
En fouillant, j’ai compris que ce trailer est un “remake” de celui réalisé par Anouk Faure elle-même en février 2023 pour la sortie de son roman aux éditions Argyll. Il est certes mieux monté et mieux mixé, mais Pocket ne s’est pas tellement foulé sur ce coup-là.
Cela étant, c’est original ! Ca garde une identité littéraire et je crois que ça fonctionne quand on fait partie du lectorat cible.
Avant de partir, j’ai une question pour toi.
Dis-moi par la même occasion ce que tu penses u phénomène book-trailer en commentaire, ça m’intéresse de savoir si tu les visionne ou non.
Tes cadeaux pour te remercier de partager “Les Papiers Noirs à l’Encre Rouge”
Pour rappel, si tu recommandes Les Papiers Noirs à l’Encre Rouge à d’autres personnes, voici les récompenses que tu peux gagner :
1 recommandation → Choisis la prochaine œuvre que je chronique (film ou livre).
7 recommandations → La nouvelle Amort au format e-book.
20 recommandations → Mon recueil de nouvelles 13 Effrois au format e-book.
Il te suffit de cliquer sur le bouton juste en dessous pour obtenir ton lien personnalisé :
J’espère que cette newsletter sur les book-trailer t’aura intéressé·e. Si oui, laisse-moi un like avant de partir !
A mercredi prochain 👋
Très intéressant ! Concernant les book-trailer je reconnais préférer les successions d’images aux longs partages de citations. Les mots, je veux les découvrir par moi-même. Les images auront plus facilement tendance à me transporter dans l’ambiance du livre. En revanche quand on en dévoile trop (mais c’est pareil avec les films), la hype disparaît.
Très intéressant ! Je viens moi aussi de réaliser un trailer pour mon futur roman, je pense effectivement que ça pourra aider à la visibilité du livre sur les réseaux sociaux, mais aussi surtout sur Amazon, qui propose maintenant d'afficher ces vidéos parmi les liens sponsorisés. Évidemment on y voit surtout des trailers faits par IA, ou bien des textes animés très basiques, mais même une vidéo simple peut accrocher l'œil des lecteurs plus qu'une couverture statique.
Je ne veux pas mettre le lien pour éviter de faire ma promotion sur votre newsletter, mais vu que je me suis beaucoup amusé sur ce projet, j'aimerais partager une quatrième façon de faire, celle que j'ai adoptée : créer soi-même des illustrations, ou bien les commander à un artiste (pitié, ne touchez pas aux IA génératives), et jouer avec les différentes couches de ces fichiers à l'aide d'un logiciel adapté (j'ai choisi Adobe animate, qui est très simple d'utilisation) pour réaliser facilement des animations d'images et de textes. Par contre, ça prend du temps :)